N’ayant plus d’avenir, les vieillards ruminent leur passé. Je ne l’ignore pas et ne prétend pas m’exempter de ce péché d’orgueil. Pourtant, écrivant ces pages, j’essaie de le faire dans une autre perspective. Mon époque ne me semble en rien supérieure à l’époque actuelle et les événements que j’ai pu vivre ne sont en rien remarquables ni héroïques. Différents certes, en tous cas différents et c’est à la fois cette différence, quasi ethnographique que j’essaie de faire comprendre et, en même temps, inséparable, ce qu’il y a de profondément commun : l’éternelle identité humaine dans l’éternelle différence des vécus. Être, à la fois, indissolublement, l’unicité que j’ai été et l’identité dans laquelle j’aimerais que mes lecteurs se trouvent. « Je est un autre » disait Rimbaud car l’identité universelle du « Je » est toujours irréductiblement autre. Que chacun de mes lecteurs se lisent en moi dans leur différence essentielle.
Ce matin-là… Ce matin-là je m’éveillais avec un insondable sentiment de vide. Le ciel était étale, d’un bleu pâle absolu, le soleil faisait briller les feuillages, mettait l’espace en scène, enflammait les rosiers rouges dans le jardin en face de mon appartement, rien ne bougeait, c’était comme si tout avait été là, en place, de toute éternité, que rien jamais n’avait, ne devait changer. Une chaise, posée sur l’herbe évoquait l’absence totale de personnage, rien ne bougeait, le silence était total. Seul peut-être, si je forçais mon écoute, un très léger souffle venu de je ne savais où, indiquait que quelque chose, quelque part existait. Je m’assis dans un fauteuil, au soleil, sur le balcon, fermais les yeux. J’étais perdu. Il me semblait que tout ce que j’avais pu réaliser jusque là, que l’ensemble de ce que j’avais vécu était d’une complète vacuité, que j’avais, pour rien, vécu tout ce temps. Soudain, j’étais convaincu que les multiples projets qui, la veille encore, étaient ma raison...
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