Vieillissant ma mémoire se réduit à celle du poisson rouge: j'ai une idée que je trouve intéressante, je remarque quelque chose dont je veux garder le souvenir, une question dont je me propose de chercher la réponse et je fais autre chose. Deux minutes après, j'ai tout oublié de ce que je voulais conserver et cet oubli me torture car je n'ai pas oublié que je voulais me souvenir de quelque chose. Mais de quoi ? Il faudrait que je vive enchaîné à un carnet et un crayon. À condition que je puisse les utiliser immédiatement, peut-être ainsi…
Ce matin-là… Ce matin-là je m’éveillais avec un insondable sentiment de vide. Le ciel était étale, d’un bleu pâle absolu, le soleil faisait briller les feuillages, mettait l’espace en scène, enflammait les rosiers rouges dans le jardin en face de mon appartement, rien ne bougeait, c’était comme si tout avait été là, en place, de toute éternité, que rien jamais n’avait, ne devait changer. Une chaise, posée sur l’herbe évoquait l’absence totale de personnage, rien ne bougeait, le silence était total. Seul peut-être, si je forçais mon écoute, un très léger souffle venu de je ne savais où, indiquait que quelque chose, quelque part existait. Je m’assis dans un fauteuil, au soleil, sur le balcon, fermais les yeux. J’étais perdu. Il me semblait que tout ce que j’avais pu réaliser jusque là, que l’ensemble de ce que j’avais vécu était d’une complète vacuité, que j’avais, pour rien, vécu tout ce temps. Soudain, j’étais convaincu que les multiples projets qui, la veille encore, étaient ma raison
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