Outre de nombreuses aventures excédant rarement quelques jours, j’ai vécu d’assez longues périodes avec quatre femmes. J’ai même vécu avec un homme. Ma dernière compagne, Lucile, morte il y a plus de dix ans, avait quinze ans de moins que moi. Parfois elle me manque, parfois encore, au réveil je la cherche dans le lit avant de me résigner à accepter sa disparition et il m’arrive très souvent de dialoguer avec son ombre. Lorsque nous avons su qu’elle avait un cancer qu’elle ne pourrait vaincre, il m’a été longtemps impossible d’accepter la possibilité de sa mort. Il me semblait que, parce que je vivais, tant que je vivais, parce que depuis vingt deux ans nous ne faisions qu’un, la vie de l’un était étroitement liée à celle de l’autre, que tant que je respirais elle respirerait. Pourtant, le 6 octobre 2000, il a fallu accepter l’inacceptable et, ayant trop de vie encore pour m'effondrer dans un suicide, m’accoutumer à ne vivre plus qu’à moitié en me retirant à jamais dans ce village-purgatoire.
Regardant des photos de ma vie, je me trouve confronté à l'inutilité du temps : ces photos témoignent, et ne mentent pas, de ce que j'ai vécu et pourtant je ne m'y retrouve pas. Tel beau jeune homme svelte, presque dansant dans l'allée d'une forêt, je ne le reconnais pas même si j'ai la certitude absolue que ça été un moment de moi, tel enfant joufflu marchant difficilement soutenu de chaque côté par un de ses parents, tel adolescent en tenue de première communion s'appuyant sur l'épaule de son jeune frère… et ces dizaines d'autres jetées comme pour jalnner des espaces temporels variés me restent extérieurs. Certes j'ai été ceux ci à ces moments là mais je ne parviens à retrouver ni la texture ni la saveur de ces instants définitivement perdus. Ni madeleine ni flash de sensations : tout cela m'est définitivement perdu.
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