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Affichage des articles du août, 2023
Est-ce l’ennui, l’effet du vieillissement, l’attendrissement sur soi-même qui guette chacun d’entre nous ? Aujourd’hui j’ai ouvert les caisses où s’entasse ma correspondance. Comme mon père je garde tout, aussi ai-je plusieurs caisses remplies de cartes, lettres… qui m’ont été envoyées au temps où j’existais encore. La mémoire est une étrange machine, j’avais oublié avoir entretenu des échanges avec tant de personnages qui, pour la plupart morts aujourd’hui, ont compté, d’une façon ou d’une autre dans l’histoire de l’art contemporains. Mon seul héritier étant Ronald Cline, je sais qu’il n’en comprendra pas l’importance et, comme mes milliers de livres, détruira tout cela ou, au mieux, le bradera à un brocanteur ignare. À quoi se raccroche la force de vivre ? Je ne supporte pas l’idée que tout cela disparaisse aussi, sur cet espace qui, paraît-il, est éternel, je veux en laisser quelque trace. Je publierai ainsi, ici, quelques unes de ces lettres sans pour autant en révéler ce qui, en e
Étrange drogue, je me suis maintenant replongé dans mes paperasses et mon esprit est complètement envahi de souvenirs divers, de personnages que j'avais cru oublié, de moments tristes ou joyeux mais si vécus… Revivre le passé ou vivre le présent ? Mais mon présent est si atone et mon passé si riche. Revenir en arrière, rétrograder… Mais comment être en ne regardant qu’en arrière, comment vivre pleinement ce qui est mon présent dans le regret du passé ?
Difficile, à mon âge de continuer à être après avoir été, pleinement, avoir été inscrit dans la vie culturelle, collective. La seule solution que j’ai trouvé est la retraite anonyme. Se retirer dans ce village perdu au confluent de l’Alzeau et de la Dure où les notabilités sont Serge Pey et Williamn Cliff. Autant de point de repères qui, j’en suis sûr, permettront de comprendre pourquoi on l’appelle le village du livre. Est-ce pour cela que je suis venu ici ?
Ce matin-là… Ce matin-là je m’éveillais avec un insondable sentiment de vide. Le ciel était étale, d’un bleu pâle absolu, le soleil faisait briller les feuillages, mettait l’espace en scène, enflammait les rosiers rouges dans le jardin en face de mon appartement, rien ne bougeait, c’était comme si tout avait été là, en place, de toute éternité, que rien jamais n’avait, ne devait changer. Une chaise, posée sur l’herbe évoquait l’absence totale de personnage, rien ne bougeait, le silence était total. Seul peut-être, si je forçais mon écoute, un très léger souffle venu de je ne savais où, indiquait que quelque chose, quelque part existait. Je m’assis dans un fauteuil, au soleil, sur le balcon, fermais les yeux. J’étais perdu. Il me semblait que tout ce que j’avais pu réaliser jusque là, que l’ensemble de ce que j’avais vécu était d’une complète vacuité, que j’avais, pour rien, vécu tout ce temps. Soudain, j’étais convaincu que les multiples projets qui, la veille encore, étaient ma raison
  Le secret serait peut-être de s’empêcher de penser, vivre sans penser ce que l’on vit, se mettre au niveau du rat si ce n’est celui trop végétatif du concombre. Ne jamais se poser de question ni sur l’avant ni sur l’après. Être… La discipline : lever telle heure, écrire une heure, déjeuner toujours de la même façon (thé vert, trois confitures…), travail une heure, café, travail une heure, marche la plus longue possible (mais les distances s’amenuisent d’année en année), retour par le café du commerce, petites courses, préparation du repas, repas, petite sieste, travail une heure, nouvelle marche, écrire deux ou trois heures, préparer le repas dus soir et celui du lendemain, télévision (le sujet est sans importance, sa fonction est d’endormissement, coucher, se lever deux ou trois fois dans la nuit pour pisser et l’on retrouve le ruban de Möbius… Généralement ça tient, mais l’écriture et la marche sont de redoutables embrayeurs de pensée qui, à tout moment, font craquer le corset disc
À cause (grâce ?…) à cet espèce d’attendrissement stupide d’homme vieillissant qui, me poussant à regarder plus en arrière qu’en avant, me fait fouiller dans les archives de ma correspondance, je redécouvre ce que j’avais oublié, le nombre « d’amis » alors inconnus avec qui je correspondais aux temps où je me malais de revues et de littérature et qui, tant bien que mal, se sont faits un nom dans le domaine des lettres. Ainsi donc, tous ces jeunes écrivains ont persisté l’essentiel de leur vie dans cette voie sans issue véritable ! Écrire pour ne pas voir la vie telle qu’elle est, écrire la vie pour l’oublier, s’user dans la mastication ruminante des mots.
Je parle d’amour. Je dis : « aimez-moi », mais qu’est-ce vraiment que cet amour que je quémande ? Qu’est l’amour que je dis avoir éprouvé pour telle ou tel ? Aujourd’hui, avec le recul du temps, je ne suis plus très sûr de le savoir. J’aime en effet qui m’aime et ne crois pas à l’amour désespéré, celui dont l’objet n’entend rien. Aimer quelqu’un suppose, qu’à un moment ou un autre, il y ait réciprocité. J’ai tellement vu de mère blessées dans leur amour maternel — pourtant le plus désintéressé — parce que leur enfant, menant sa vie, ne s’occupait plus d’elles ; tant d’êtres blessés d’être ignorés avec leur amour orphelin… Plus l’amour se croit désintéressé plus il attend en retour : l’amour mystique attend d’être payé d’éternité ; l’amour romantique d’effusion. Le crapaud attend de l’amour qu’il le transforme en Prince et le ver de terre que l’étoile en fasse un ver luisant. Disant je t’aime, je ne fais donc rien d’autre que je suis digne d’être aimé et ce que je tends à l’objet de mon
Maurice Roman n’est pas un nom pour un écrivain, que penser en effet d’une annonce comme « le dernier roman de Roman » ? Impossible. Encore moins « le recueil de poèmes de Roman »… Indéclinable. De plus, une certaine Thyde Monnier (en fait Mathilde, mais le prénom de plume est plus intrigant) a publié une « Madame Roman ». D’ici qu’on s’imagine… Dès que j’ai commencé à écrire, ce que j’ai fait vers l’âge de douze ans, et à publier — il m’a fallu attendre ma seizième année — j’ai dû me trouver un nom de plume. Puis j’ai essayé d’en changer plusieurs fois et créé des hétéronymes en fonction de mes écrits et de mes humeurs. Ce n’était pas très commercial, les éditeurs n’aimaient pas trop. Ils ont dû faire avec.
En dépit de notre prétention à la pensée, nous vivons dans l’irrationnel, nous nous efforçons sans cesse de maîtriser le chaos des événements, de nos façons d’être, mais les sentiments, les pulsions, nous submergent. J’ai longtemps cru pouvoir diriger ma vie ; j’ai longtemps cru avoir choisi ce qui je devais être, mais il a bien fallu me rendre à l’évidence, ce qui m’a fait ce que je suis devenu est davantage le produit des rencontres de hasard, des imprévus, de l’accidentel, des événements fortuits que de ma volonté : je suis un produit du désordre.
Quelles différences y a-t-il entre raconter une histoire et se souvenir ? Plus j’avance dans le temps, moins je distingue les deux. Écrivant mon autobiographie, je ne sais plus vraiment si je me souviens ou si j’invente une vie qui ne serait que partiellement la mienne. Le souvenir isolé ne s’impose pas, il ne prend chair que dans le récit qui le porte, le lie à d’autres, le construit : se souvenir c’est ainsi toujours édifier la fiction d’une vie.
Je lis une phrase de roman et, à n’importe quel moment de ma lecture, à l’improviste, parti d’un fragment, d’un mot, d’un son, je suis entrainé dans un récit qui est le mien, en train de se construire, peut-être à mon insu. Ce son, ce mot, cette phrase, s’est mis en résonance ou me lance sur la voie d’une histoire en écriture. Le texte, le plus souvent, m’est un prétexte, au point que je peux avoir lu dix fois un livre et ne me souvenir de rien. Toute lecture m’est prétexte à écriture. Feuilleter un livre m’est aussi agréable que le lire dans son intégralité et je ne m’intéresse que peu à sa linéarité.
Dévider un fil du souvenir n’est pas difficile une fois que dans la pelote emmêlée du cerveau, le bout de l’un ou de l’autre, pour une raison, une autre, un mot, une image, une chanson, un brin de musique, ont en fait apparaître un bout. Mais les bouts sont innombrables et se cachent l’un l’autre, se confondent rendant leur dégagement aléatoire ce qui fait que l’on ne peut jamais savoir lequel d’entre eux va soudain se révéler ouvrant enfin sa chaîne.
Le désespoir de l’écriture, c’est le silence, écrire sans parvenir à atteindre un public assez large pour que sa parole soit entendue. Mais où placer la barre ? Certains disent que 200 exemplaires vendus est un succès, d’autres 1000, d’autres 2000. D’autres enfin n’attendent rien de leurs contemporains et ne visent que la postérité. Il y a une infinité d’arguments pour se leurrer soi-même et continuer, malgré tout, à noircir du papier ou des écrans d’ordinateurs.
La vieillesse me rend nostalgique, un peu acariâtre avec des tendances misanthropes. Rien de très agréable donc mais, malgré mes aigreurs, je me refuse à détester les bonheurs des autres et m'efforce à comprendre — ce qui n'est pas toujours facile — qu'ils puissent trouver leur félicité dans des comportements qui me sont aussi étrangers que la beuverie, l'achat d'un nouveau vêtement ou les fêtes de Noël.
J'ai toujours regardé le monde en observateur, ne m'impliquant vraiment dans rien, pas plus dans ce que j'entreprenais dans mes créations que dans mes relations sentimentales, amitié ou même amour. Le monde me reste extérieur comme un série télévisuelle qui m'intéresse un moment, me concerne de temps en temps, sans plus. Aussi n'est-il pas étonnant que je sois devenu un vieillard solitaire n'attendant rien ni de l'univers qui m'entoure ni des autres êtres humains. Il ne me reste plus que le grand plaisir de me raconter des histoires.
Notre destin s’accomplit à chaque instant, le mien devait être de finir en vieillard ratatiné, isolé et amer, ne croyant plus en ce qui fut toute ma vie. Désespoir de la littérature… Était-il déjà en germe dans le petit enfant dont je tente de rapporter ici la vie paisible ? Davantage, peut-être, dans l’adolescent plutôt solitaire tourmenté de passions contraires ? S’achève-t-il (s’achèvera-t-il…) dans une vieillesse peu à peu contrainte à une activité réduite me rapprochant de ce règne végétal dont mon corps ne tardera pas à aller nourrir les racines ?
N’ayant plus d’avenir, les vieillards ruminent leur passé. Je ne l’ignore pas et ne prétend pas m’exempter de ce péché d’orgueil. Pourtant, écrivant ces pages, j’essaie de le faire dans une autre perspective. Mon époque ne me semble en rien supérieure à l’époque actuelle et les événements que j’ai pu vivre ne sont en rien remarquables ni héroïques. Différents certes, en tous cas différents et c’est à la fois cette différence, quasi ethnographique que j’essaie de faire comprendre et, en même temps, inséparable, ce qu’il y a de profondément commun : l’éternelle identité humaine dans l’éternelle différence des vécus. Être, à la fois, indissolublement, l’unicité que j’ai été et l’identité dans laquelle j’aimerais que mes lecteurs se trouvent. « Je est un autre » disait Rimbaud car l’identité universelle du « Je » est toujours irréductiblement autre. Que chacun de mes lecteurs se lisent en moi dans leur différence essentielle.
J e rôde souvent dans ma maison bibliothèque, picorant de ci de là, souvent derrière les toiles d'araignée, un livre ou un autre. Et ce matin je suis tombé sur un ouvrage que j'avais oublié et qui m’est pourtant très symbolique : l'édition originale de "René Leys" de Victor Segalen parue l'année même de ma naissance chez Georges Crès. Ce roman a pour moi beaucoup d'importance. Il faudra que j'en parle un jour.
Quoi qu’on fasse, on meurt seul, dans son coin, entouré de la comédie humaine. Étant donné mon âge, ma solitude et ma robustesse, je m’imagine bien mourir dans ma maison, à petit bruit, sans que personne ne s’en aperçoive pas plus mon neveu Ronald qu’un autre car le jour, la durée étant plus ou moins aléatoire, où il décidera de me rendre visite, il trouvera ma porte close et ne s’en souciant pas plus que ça, repartira jusqu’à sa prochaine visite. Mon corps aura le temps de se dessécher — ou de pourrir car il ne comprendra qu’il se passe quelque chose d’anormal qu’après plusieurs aller-retour. Quant aux autres, il faudra une longue accumulation de courriers, et surtout de factures, sans réponse pour que quelqu’un se demande si je suis encore en vie.
La distance… Toute paix est dans la distance aux choses, aux actes, aux événements ; se poser en retrait — mais pas trop cependant — rester dans la vie sans y être englué, pouvoir en être spectateur et, dans ce spectacle, conserver une part de plaisir.
Souvent je lis plusieurs romans à la fois me réjouissant des navigations improbables entre des récits et des styles souvent divergents mais qui, pourtant, par la magie de la lecture, se rejoignent sur un mot, un fragment de phrase, une idée. Alors entre deux fragments de lecture, mon esprit trouve sa place, il s’agite, imagine des solutions aux problèmes qu’elles posent, divague, s’éloigne, revient, décroche, s’accroche, se perd dans les digressions d’une fantaisie imprévue.
Toute ma vie j’ai pensé à la mort comme un drame mais avec une certaine dose d’inéluctabilité devant la facilité avec laquelle les proches, les plus amoureux, continuent à vivre comme si de rien n’était.
Faute de scanner, je ne peux vous faire voir ces portraits de mon enfance que je vous décris espérant que l'abstraction de mes mots compensera la prégnance de leurs images.
Facebook ne se prête pas à des posts trop longs et il est difficile de fractionner à l’extrême les anecdotes. Aussi je n’en donnerai ici qu’une version abrégée, un fragment, et je demanderai à mon fidèle ami Marc Hodges d’en mettre la version longue dans un ou deux des blogs qu’il a conçu pour moi : Maurice Roman et Vie de Maurice Roman. Les rares vrais ami(e)s qui s’intéressent à mes radotages de vieillard pourront aller les trouver là et, pour l’instant, il n’y a pas foule. Qu’importe, je me suis déjà expliqué là-dessus.
J'ai de plus en plus l'impression d'être exclu du temps humain, de vivre dans une espèce — non pas d'éternité — mais de temps immobile. Aujourd'hui, vivant presque en reclus, je ne peux plus prétendre faire partie de l'humanité. Je vis dans un monde qui n'appartient plus qu'à moi où temps et espace ont leurs qualités propres.
Écrire ne comble rien en moi, l'écriture est en soi un manque, une manifestation d'angoisse devant l'absence de solution, écrire est un suicide mou.
Dans les adages de Marc Hodges, je relève celui-ci: "On se fatigue de tout, même de la mort". Juste… mais ça dépend du point de vue adopté, je suis en effet fatigué de l'idée de la mort qui m'occupe depuis mon enfance et m'a accompagné toute ma vie, je m'efforce aussi de m'en débarrasser. Pourtant, ce n'est pas si simple, la mort, elle ne se fatigue pas de moi.
Après avoir reçu un coup de téléphone, Ronald est parti ce matin. « Un super plan cul » a-t-il dit. Je n’aime pas beaucoup l’expression mais l’action qu’elle évoque est de son âge. Je vais le regretter, un peu. J’aime bien ce jeune écorché vif par l’existence. Il apparaîtra plus tard, dans Ma Vie (titre toujours provisoire), j’aurai alors l’occasion de mieux expliquer nos relations.
J’ai toujours détesté l’expression « venez quand vous voulez » car elle délivre celui qui la prononce, et même si sur le moment elle est sincère, de la véritable attention amicale qui consiste justement à ne pas attendre que l’autre se manifeste mais à le contacter souvent, souvent sans réel besoin. L’amitié, l’affection ne peuvent pas être sous-entendues, implicites ou alors elles ne sont pas.
Dans mes lectures récentes, encore un récit où des jeunes garçons comparent la longueur de leur sexe. J’avoue que malgré mes assez nombreux jeux plutôt sexuels avec des camarades approximativement de mon âge, cela ne m’est jamais arrivé. J’étais personnellement beaucoup plus intéressé par le mystère de l’éjaculation lorsqu’elle se produisait. J’adorais notamment lorsqu’un garçon plus jeune que moi — appelons-le Étienne — me masturbait pour s’émerveiller devant ces quelques gouttes de sperme qu’il ne produisait pas encore.
Je me lève (tôt…), je me lave (parfois), je déjeune (peu), je lis (beaucoup), je tourne dans mes pièves (sans arrêt), je vais au bistro (de temps en temps), je cuisine (de moins en moins), je mange (picore), je me couche, tourne, retourne, allume, éteins, lis,éteins, allume, dors, m'éveille, me rendors, me réveille, me rendors, me lève (tôt), je me lave… Comment puis-je continuer à respirer ?
Pourquoi, alors que je mange un morceau de baguette chaude me revient en mémoire un des plaisirs gustatifs les plus forts de mon enfance, celui du morceau de sucre enfoncé dans la mie d’une baguette fraîche : contraste des matières, dureté du morceau de sucre, léger craquant de la croûte tiède, fondant de la mie, violence du goût du sucre et légèreté salée du pain, tout ceci dans un même moment, dans la bouche lorsque la dent brisant la résistance du petit cube de sucre libère, à la fois, toutes ces saveurs.
Nos objets sont ce que nous avons été, ils font partie de nous-mêmes au même titre que nos jambes, nos bras et nos ongles, ils sont une externalisation religieuse de notre mémoire et seuls ceux qui, comme les moines ou les ermites, veulent nier leur passage sur terre pour un au-delà dont ils attendent tout, sont capables de s’en passer." (Le journal de Charlus). Comme c'est juste ! J'ai eu plusieurs fois l'occasion de dire ici, combien ma maison est emplie d'objets sans valeur. Ma maison est ma mémoire.
Toujours à la recherche d'un titre pour mes mémoires, je voulais les intituler "le livre de l'oubli" mais Google me dit que Bernard Noël m'a devancé. J'hésite donc maintenant entre "Amnésies, mes amnésies et Vous Avez Dit Mémoire"…
Comme chaque jour, je vais faire une petite marche durant laquelle des phrases ne cessent de se former au rythme de mes pas ce pourquoi j'ai habituellement sur moi un petit carnet et un crayon pour noter celles qui me parlent vraiment. Hier, ayant changé de veste, rien de cela. Or une idée, une phrase particulièrement intéressante m'occupe… Quand je rentre chez moi, je l'ai oubliée, impossible de m'en souvenir. Ne me reste plus que la mémoire de la frustration de ce qui m'apparaît comme une perte irremplaçable.
Le sentiment de nouveauté vieillit avec l’homme ainsi, par conséquence, que l’urgence qu’il éprouve à lui répondre Vieillissant, on apprend à attendre. Aussi, de façon paradoxale, au fur et à mesure que le temps échu se retrécit, le temps vécu lui-même semble devenir de plus en plus long et ce qui pourrait être fait aujourd’hui peut aussi bien l’être demain.
Il y a un gouffre entre la littérature et la vie car même si des situations, des sentiments, des moments… ont été lus cent fois dans divers romans, ces lectures ne nous préparent en rien à les vivre et lorsque nous les avons vécus avant de les lire ici ou là, c’est à peine si nous nous y reconnaissons. Malgré les apparences, il n’y a pas deux vies semblables et toute la difficulté est d’essayer, sous la banalité apparente, de faire percevoir les différences.
Période de fêtes, plus que d'habitude encore, désœuvrement et ennui: je lis, énormément, tout et n'importe quoi, ce qui me tombe sous la main. Hier, un "roman" assez médiocre, La médiatrice de René-Victor Pilhes, ce matin, assez intéressant, Eternity Express de Jean-Miche Truong, tous deux étant comme des analyses sociologiques, plus ou moins anticipatrices de nos sociétés. Ce ne sont pas les seuls, nous avons été avertis… et pourtant aucun de ces livres n'a eu d'effet concret, nous allons quand même dans les murs qu'ils nous montrent. La littérature ne sert à rien sinon à faire de la littérature. Mon autobiographie, au moins, n'a pas de but plus ambitieux. Je persiste…
Toute une vie — 90 ans — à lire, écrire, apprendre, comprendre, enregistrer, sous toutes leurs formes, des informations et des connaissances… Et tout cela, ces millions de données disparaîtra définitivement quand la mort tournera mon interrupteur sur off. Et je me dis que rien, sauf une étrange illusion, n'explique que je me sois si longtemps efforcé de penser chaque jour un peu plus juste que la veille.
La linéarité du roman est une trahison de l'écriture car il faut que quelque chose de l'ordre d'un hors-écrit se résolve, et ceci au risque de l'artificiel. Écrire n'est pas viser un but logique mais faire jouer les résonances des mots et des phrases de façon à amener les lecteurs à penser leur langue par eux-mêmes.
« Le souvenir, écrit Marguerite Yourcenar dans L’Œuvre au Noir, n'était qu'un regard posé de temps en temps sur des êtres devenus intérieurs, mais qui ne dépendaient pas de la mémoire pour continuer d'exister ». La plupart, hélas, n’existent plus en dehors de nos mémoires.
Toute ma vie je me suis trompé poursuivant, en tant que produit d'une histoire collective, des buts que je croyais devoir être les miens mais qui, en fait, n'étaient fixés que par des conventions et des normes qui m'étaient extérieures. Puis, un jour, alors qu'il était trop tard, j'ai enfin découvert, comme dans une illumination, ceux que j'aurais dû me fixer en toute liberté.
  Le passé est un prurit et il faudrait avoir assez de force pour ne pas se gratter car sinon, bien vite, s'ouvrent des écorchures ou même des plaies saignantes. Le problème est que nous sommes tous masochistes aimant entretenir cette acerbe douleur.
  Hier je suis allé à un "événement culturel" à Carcassonne, curieuse chose que cette "culture" qui rassemble des êtres tous identiques dans des lieux qui leur sont consacrés comme des sectateurs de chapelles chacune ayant ses règles comportementales, vestimentaires, langagières qui définissent autant d'entre-soi peu perméables à d'autres comportements. Toute ma vie j'ai essayé de transiter de l'une à l'autre pour n'appartenir à aucune, toujours aussi mal à l'aise de devoir pour me comporter de façon juste dans ces diverses catégories. Je n'ai donc été reconnu par aucune et je ne peux, aujourd'hui, me plaindre d'être solitaire.
À quoi vont servir toutes ces lettres, ces photos, ces brins d'herbe ou de fleurs, ces livres, ces tableaux… que nous conservons si personne n'en fait rien lorsque nous disparaitrons ? Pourrions-nous imaginer une mémoire infinie qui, par la magie d'un programme, ferait, à la demande, ressurgir des mémoires informatiques les personnes que nous étions avec tous les liens que nous avions si patiemment tissés ?
  J'écris pour affirmer que j'ai vécu, pour résister au temps qui passe, dépasser la douleur des paroles tues, des silences définitifs, pour essayer de me souvenir, peut-être même m'inventer des souvenirs, m’entretenir de dialogues qui ne peuvent plus avoir lieu, emplir de vie la solitude qui me cerne, repousser, feindre d'ignorer le néant vers lequel je m'achemine à grands pas. J'écris pour tous ceux qui m'ont laissé en route creusant chaque fois un peu plus mon cerveau d’absence. Mon écriture est leur vie et la certitude de ma mort.
  Hier, j'ai gâché une bonne moitié de ma journée à imaginer une phrase au point que, comme de ces chansons dont quelques mesures ne peuvent plus sortir de notre mémoire, elle était devenue une obsession. Je l'ai tournée dans tous les sens, déplaçant la place des mots, les remplaçant par d'autres, essayant de trouver un rythme parfait… À la fin de la journée, je l'ai mise sur le papier et, ce matin, je la trouve si fade, si lisse, si parfaite, que j'ai décidé de la supprimer. Écrire m'est à la fois un besoin et une hantise: je ne sais plus pourquoi écrire, je me rends compte que je ne sais pas vraiment écrire et pourtant… je suis incapable de m'en passer. Qui pourrait me dire comment en finir ?
  Certaines décisions cruciales ne sont pas difficiles à prendre : elles s’imposent d’elles-mêmes. À 40 ans j’éprouvai soudain une impression d’étrangeté, je regardai le monde des êtres comme je regardai le monde des choses avec les yeux d’un vieil enfant. Plus rien ne me parlait. Plus rien ne résonnait en moi. Entre l’univers dans lequel jusque là je naviguais à l’aise et mes sentiments actuels, s’était élevée une vitre opaque. Je pris alors la décision de me couper définitivement du milieu qui, jusque là, avait été le mien, celui de la création. Et même si parfois j’en éprouve une légère nostalgie, notamment à cause de la solitude relative que cette décision impliquait, je ne l’ai jamais regrettée : désormais je serais davantage que ce que je paraîtrais car je venais de comprendre que je n’étais pas là où je devais être. Mon dernier roman venait d’obtenir un prix littéraire important, un de mes recueils de poésie connaissait un réel succès de vente, j’étais invité dans de nombreux sa